L’huile de Lorenzo
Régime restreint en AGTLC
L’anomalie biochimique de l’ALD a été identifiée pour la première fois en 1976 (Igarashi et al. 1976). Les personnes touchées avaient un niveau élevé en acides gras saturés à très longue chaîne (AGTLC). La mise en évidence de cette anomalie et le fait qu’une partie de ces acides gras étaient d’origine alimentaire a motivé les premières tentatives visant à diminuer les taux sanguins d’AGTLC par un changement de régime alimentaire. Ce régime était très limitant quant aux choix alimentaires car les AGTLC sont présents dans de nombreux produits végétaux et animaux. Malheureusement, la restriction alimentaire en acides gras C26:0 n’entraine pas la baisse des taux plasmatiques d’AGTLC chez les patients atteints d’ALD (Brown et al. 1982).
Figure: L’ajout d’acides gras en C18 mono-insaturés :1 et C22:1 aux cellules ALD, réduit la synthèse de C26:0, parce que les enzymes qui sont responsables de sa synthèse (élongases) ont une plus grande affinité pour les acides gras mono-insaturés.
Inhiber la synthèse d’AGTLC
L’absence d’effet du régime alimentaire a permis de comprendre que le corps devait aussi produire une quantité importante d’AGTLC. En effet, la majorité des AGTLC est produite à partir d’acides gras à longue chaîne (Tsuji et al. 1981). Il y a eu diverses tentatives pour interférer avec l’élongation des chaînes d’acides gras. La première approche utilisait les acides gras mono-insaturés à longue chaîne. Ces acides gras mono-insaturés à longue chaîne diffèrent des acides gras saturés à longue chaîne parce qu’ils ont dans la chaîne grasse une double liaison. L’hypothèse était que les acides gras mono-insaturés seraient en compétition avec les acides gras saturés pour se lier aux enzymes responsables de l’allongement des très longues chaînes d’acides gras (les élongases) et que ces enzymes auraient une affinité plus grande pour les acides gras mono-insaturés que pour les acides gras saturés. La conséquence étant une diminution de la production d’AGTLC saturés (Figure). En effet, l’addition d’acides gras mono-insaturés, en particulier l’acide oléique (C18:1), dans le milieu de culture de fibroblastes de peau provenant de patients ALD réduit la synthèse de C26:0 de 60% (Rizzo et al. 1984).
L’huile de Lorenzo
L’ajout d’acide oléique (C18:1) puis d’acide érucique (C22:1) utilisés en combinaison avec un régime relativement pauvre en matières grasses entraîne une diminution des AGTLC en 6 à 8 semaines chez les patients atteints d’ALD (Moser et al. 1987; Rizzo et al. 1989) (Figure 2). Cette huile, qui est un mélange 4:1 de glycéryl-tri-oléate (GTO) et glycéryl-tri-érucate (GTE) a été baptisée Huile de Lorenzo. L’huile de Lorenzo est prise par voie orale et est généralement bien tolérée même si une diminution modérée des plaquettes et une élévation des transaminases hépatiques ont été observées.
Dès les premières études examinant le rôle de ce mélange chez les patients atteints d’ALD, il était très clair qu’il n’influençait pas la progression de la maladie chez les personnes touchées par la forme cérébrale. Ce résultat a été obtenu de façon répété. L’huile de Lorenzo ne modifie pas le cours de l’ALD cérébrale chez l’enfant ou chez l’adulte et n’a jamais été indiquée dans la forme cérébrale de la maladie. En outre, son effet n’a jamais été étudié en vue d’une greffe de moelle osseuse ni dans la période suivant ce traitement.
Les premières études sur la forme adulte de l’ALD, l’adrénomyéloneuropathie (AMN), ont utilisé ce traitement sur des petites populations avec des présentations cliniques variables et sur de courtes périodes sans montrer d’effet clair. Ces essais cliniques très limités ont conduit à de grandes déclarations sur l’absence d’un effet et ont soulevé la question de l’entrée des principes actifs dans le cerveau. En effet, tandis que l’huile de Lorenzo diminue les niveaux de C26:0 dans le plasma et les tissus adipeux, elle ne modifie pas les niveaux de C26:0 dans le cerveau (Rasmussen et al 1994). Les auteurs ont conclu que : « l’échec de l’entrée dans le cerveau d’une quantité significative d’acide érucique est peut-être le facteur responsable des résultats décevants d’une thérapie diététique de l’ALD ». Ceci peut être expliqué par une autre étude qui a fourni les preuves expérimentales que l’acide érucique n’entre pas dans le cerveau et qu’il est rapidement métabolisé (Golovko and Murphy 2006).
Dans les années 1990, plusieurs groupes ont commencé à étudier indépendamment l’utilisation de l’huile de Lorenzo comme thérapie préventive – un agent qui pourrait, soit prévenir une évolution cérébrale chez les garçons à risque n’ayant pas de symptômes cérébraux, soit ralentir la progression de la maladie chez les hommes ayant une AMN. Deux essais (Aubourg et al. 1993; Van Geel et al. 1999) ont montré que l’huile de Lorenzo ne modifie pas la progression de la maladie chez les hommes ayant une AMN. De plus, quelques hommes ayant une AMN ont développé une atteinte cérébrale malgré l’utilisation de l’huile. Tous ces essais étaient des essais ouverts (l’huile de Lorenzo n’a pas été testée contre un placebo) et étaient donc difficilement irrévocable.
Souhaitant fournir des réponses définitives concernant l’efficacité clinique de l’huile de Lorenzo en tant qu’agent modificateur de l’AMN, un essai de phase III AMN a été lancé en 2007 à l’Institut Kennedy Krieger. L’étude de 4 ans incluait 120 hommes atteints d’AMN sans atteinte cérébrale, et 120 femmes ayant une ALD avec myélopathie. Les taux de progression étaient comparés dans les groupes recevant l’huile de Lorenzo et le placebo à l’aide de l’échelle EDSS Kurtzke comme résultat principal, et d’une variété de résultats secondaires. Malheureusement, l’étude a été interrompue avant la fin par le conseil de surveillance de la sécurité en raison des effets secondaires présumés du placebo. En conséquence, il n’y a pas de preuve scientifique d’un effet modificateur de l’huile de Lorenzo dans l’AMN.
L’effet de l’huile de Lorenzo sur l’ALD cérébrale a été étudié par Moser et al (Moser et al. 2005) sur un grand nombre de garçons ayant une IRM normale à leur inclusion dans l’étude. Dans ce groupe, les AGTLC diminuaient après traitement et un lien a pu être établi entre une diminution du risque de développer une maladie cérébrale et la baisse des taux d’AGTLC. Cette étude, cependant, présente plusieurs limites, comme par exemple l’utilisation de contrôles historiques au lieu d’un groupe placebo, et n’offre aucune preuve définitive de l’efficacité de l’huile de Lorenzo dans la prévention de l’apparition des ALD cérébrales chez les garçons ayant une ALD. Sur la base des résultats de cette étude, l’huile de Lorenzo est donc proposée dans certains pays aux garçons ayant une ALD dans le but de réduire le risque d’apparition d’une ALD cérébrale. Il convient de noter que l’utilisation de l’huile de Lorenzo n’est pas sans effets secondaires et a un impact considérable sur la qualité de vie.
Nous recommandons que l’huile de Lorenzo ne soit mise en place que par les centres qui ont la capacité d’assurer un suivi par IRM, de prodiguer des conseils nutritionnels, et ayant la capacité de mesurer les AGTLC et d’autres acides gras essentiels. D’autres centres considèrent que l’efficacité de l’huile de Lorenzo n’est pas prouvée et ne recommandent pas son utilisation.
La prise d’huile de Lorenzo ne doit jamais être initiée sans la surveillance d’un médecin. Bien que des effets indésirables graves n’aient pas été observés lors de son utilisation contrôlée, la sécurité des individus traités par l’huile de Lorenzo doit être évaluée régulièrement. Enfin, il faut dire clairement que l’huile de Lorenzo est indiquée uniquement pour le traitement du défaut biochimique des ALD et ne joue aucun rôle dans d’autres pathologies neurologiques démyélinisantes ou progressives dans lesquelles les personnes peuvent métaboliser les acides gras à très longue chaîne.
Last modified | 2019-05-03