Acides Gras à Très Longue Chaîne
Au plan biochimique, quel est le problème dans l’ALD / AMN ?
Chez les patients ayant une ALD ou une AMN, il y a trop d’acides gras à très longues chaines (AGTLC) qui s’accumulent dans la plupart des tissus du corps. Cet excès est particulièrement grave dans le cerveau et les glandes surrénales et il en résulte des problèmes neurologiques et un dysfonctionnement de la glande surrénale (maladie d’Addison). Les AGTLC s’accumulent également dans le plasma sanguin, ce qui permet un diagnostic de l’ALD par un test sanguin.
Des niveaux normaux d’AGTLC chez une femme soupçonnée d’avoir une ALD. Qu’est-ce que ça veut dire ?
L’analyse des taux d’AGTLC plasmatiques est le test diagnostic le plus fréquemment utilisé pour diagnostiquer une ALD. Le test est basé sur la démonstration d’une augmentation des niveaux de C26:0 et de l’augmentation des rapports C26:0/C22:0 et C24:0/C22:0. L’expérience a montré que chez plus de 2000 patients ALD testés (hommes et femmes), près de 10 à 20% des femmes atteintes d’ALD avaient des niveaux normaux d’AGTLC.
Un niveau d’AGTLC plasmatique normal n’exclut donc pas l’ALD du diagnostic. Quand une femme est soupçonnée d’être porteuse d’une ALD, l’analyse de la mutation est la méthode la plus fiable pour le diagnostic. Idéalement, la mutation dans la famille doit être identifiée chez un parent affecté ou une parente porteuse hétérozygote avérée (une parente porteuse hétérozygote avérée est, soit une femme dont le père a été diagnostiqué avec une ALD, soit une femme ayant eu deux enfants atteints d’une ALD génétiquement prouvée).
Que sont les acides gras?
Pour comprendre la structure chimique des acides gras, quelques notions de chimie sont nécessaires.
La plupart des produits chimiques que nous connaissons, comme le sel et l’eau, sont constitués de différentes briques appelées des «éléments». Le sel est constitué d’éléments sodium (Na) et chlore (Cl). Sa structure chimique est très simple: un atome ou une molécule de sodium est lié à un atome de chlore. La force qui les maintient ensemble est appelée une liaison chimique. Le sodium a la capacité de se lier avec une autre molécule; la même chose est vraie pour le chlore. Par conséquent, la structure chimique du sel peut être écrite sous forme de Na-Cl. Le trait reliant le Na et le Cl représente la liaison chimique.
L’eau est un peu plus compliquée. Elle est composée des éléments hydrogène (H) et oxygène (O). L’hydrogène, comme le Na et le Cl, ne peut se «lier» qu’avec un autre élément. L’oxygène, lui, peut former deux liaisons. Dans l’eau, deux H se lient avec un O. Ainsi, on peut écrire la structure de l’eau de la façon suivante H-O-H. Le fait que les éléments peuvent se lier avec d’autres éléments a permis à la nature de produire un nombre incroyable, presque illimité, de produits chimiques qui nous composent, nous ainsi que notre environnement.
Les acides gras sont composés de H, O, et de carbone (C). Chaque carbone peut former quatre liaisons; ce qui fait du carbone un élément très polyvalent. La partie grasse des acides gras est une chaîne d’atomes de carbone liés ensemble; chaque C étant également lié à plusieurs H.
La partie “acide ” d’un acide gras a un C, deux O et un H.
Dans la partie acide, il y a deux traits ou liaisons entre l’extrémité C et l’un des O. c’est ce qu’on appelle une « double liaison ».
Des exemples d’acides gras
L’acide acétique (vinaigre), est un acide gras à chaîne courte; C2:0
L’acide palmitique (trouvé dans le saindoux et le beurre), est un acide gras à chaîne longue; C16:0
Deux acides gras à très longue chaîne (AGTLC): l’acide lignocérique; C24:0
et l’acide hexacosanoïque; C26:0
Un système pratique d’abréviation est associé à chaque acide gras ci-dessus. Le nombre après le «C» représente le nombre d’atomes de carbone dans la chaîne, par exemple C2, C16, C24, C26, etc. Le nombre après les deux points nous indique le nombre de doubles liaisons dans la chaîne carbonée. Dans tous les exemples indiqués ci-dessus, il n’y a pas de double liaison entre les atomes de carbone; Par conséquent, tous ont la désignation « :0 ».
Les acides gras – Qu’ont-ils de bon ? D’où viennent- ils et qu’en fait le corps ?
Les acides gras sont des produits chimiques nécessaires au corps. Ils se retrouvent dans des produits chimiques plus complexes, tels que des triglycérides, des phospholipides, des sphingolipides, des glycolipides et d’autres. Les triglycérides sont les principaux produits chimiques du “gras”; ils permettent avant tout le stockage. Les phospholipides font partie des membranes qui entourent toutes les cellules du corps et les petites structures à l’intérieur des cellules. Les sphingolipides et les glycolipides sont des produits chimiques complexes que l’on trouve principalement dans les cellules du cerveau et du système nerveux ; les gangliosides et la myéline font partie de cette catégorie. Le point essentiel est que les acides gras sont absolument nécessaires pour de nombreuses fonctions normales du corps. Nous ne pouvons pas vivre sans eux.
Les acides gras se trouvent dans les aliments que nous mangeons. Ils sont en quantités particulièrement élevées dans les aliments gras, les graisses, les aliments frits et les huiles. Ils sont également présents en grandes quantités dans les noix et les graines. La viande, même dans les viandes maigres, contient beaucoup d’acides gras. D’un autre coté les légumes, les fruits (sauf la peau des fruits), et les féculents (par exemple les pâtes ou le pain) sont relativement faibles en acides gras.
Que deviennent les acides gras alimentaires ? Les acides gras et les autres nutriments présents dans les aliments atteignent l’estomac où la digestion commence. Les aliments sont alors scindés en leurs différents composants, tels que les hydrates de carbone (sucres et amidons), les protéines et les lipides (des acides gras et cholestérol). Ces composants de l’alimentation sont ensuite absorbés par les cellules qui tapissent l’intestin. Les nutriments passent par les cellules intestinales et entrent dans les petits vaisseaux sanguins. Ces vaisseaux sanguins conduisent directement au foie, qui peut être considéré comme une «usine de traitement» des éléments nutritifs. Dans les cellules hépatiques, les éléments nutritifs sont métabolisés ; ce qui signifie qu’ils sont, soit décomposés pour produire de la chaleur ou de l’énergie, soit convertis en d’autres produits chimiques dont le corps a besoin. Des nutriments en excès peuvent être transformés sous une forme permettant le stockage comme le glycogène (pour les sucres) ou les triglycérides (pour les acides gras).
Très souvent le corps a trop d’acide gras, soit parce que nous avons trop mangé, soit parce que le corps en fabrique trop en interne. Nous avons besoin de nous débarrasser de l’excès d’acide gras. Les acides gras sont alors décomposés ou “oxydés” pour produire de l’énergie ou de la chaleur pour le corps. En effet, les acides gras sont la principale source de carburant pour le corps en cas de famine. Il y a un équilibre fragile entre avoir assez d’acide gras et en avoir trop. Normalement le corps a des mécanismes sensibles qui maintiennent cet équilibre. Lorsque l’équilibre est rompu, survient souvent une maladie.
Les AGTLC : Que savons-nous à leur sujet ?
1) Sont-ils normalement présents dans le corps ?
– OUI!
2) Quelle est leur fonction?
– Ils font partie des membranes présentent dans le cerveau, y compris de la myéline, « l’isolant » autour des fibres nerveuses.
3) D’où viennent-ils?
– Ils proviennent de l’alimentation et de leur production dans le corps, par l’élongation des acides gras plus courts en acides gras plus long
4) Que pourrait causer l’augmentation des niveaux d’AGTLC dans l’ALD/AMN ?
– Le corps en fabrique trop
– Le corps n’élimine pas les excédents
5) Laquelle de ces possibilités est correcte?
– Des études menées chez des patients volontaires et dans des cellules en laboratoire ont montré que le processus qui élimine ou oxyde habituellement les AGTLC est défectueux dans l’ALD/AMN.
Comment le corps oxyde-t-il normalement les acides gras ?
Grâce à une série de réactions chimiques, le corps raccourcie les acides gras en enlevant deux par deux les atomes de carbone:
Béta-oxydation des acide gras
Un acide gras est chimiquement peu réactif.
L’enzyme acyl-CoA synthétase associe une Coenzyme A à un acide gras.
(« Acide gras activé »)
L’enzyme acyl-CoA oxydase insère une « double liaison ».
L’enzyme énoyl-CoA hydratase utilise une molécule d’eau pour éliminer la double liaison et d’insérer un hydroxyle (O-H).
« O-H » est oxydé en « =O » par l’enzyme hydroxyacyl–CoA déshydrogénase.
L’acide gras à 16 carbones est coupé par l’acétyl-CoA acétyltransférase (thiolase) pour donner un acide gras à 14 carbones et un acide gras à 2-carbones.
+
Cet acyl-CoA à 14 carbones peut encore être réduit en répétant le processus ci-dessus.
L’unité de 2 carbones peut être utilisée pour la production d’énergie.
Comment fonctionnent les enzymes ?
Les enzymes sont des protéines dans le corps qui facilitent les réactions chimiques. Les enzymes ont des « sites de liaison » pour les produits chimiques avec lesquels elles interagissent. Dans le schéma ci-dessus, la première réaction chimique de l’oxydation des acides gras est représentée. L’enzyme a un site de liaison pour un acide gras et un autre pour un produit chimique appelé le coenzyme A (CoA). Ces sites de liaison sont très spécifiques ; l’acide gras et le CoA se logent dans leur site de liaison respectif comme des clés dans des serrures. En rapprochant ces deux composés chimiques l’un de l’autre, l’enzyme leur permet de se lier pour former un nouveau produit chimique appelé un acyl–CoA. L’enzyme libère ce produit, et redevient libre de se lier à d’autres acides gras et CoA. Sans l’enzyme, la probabilité d’associer un acide gras à un CoA est quasiment nulle.
Qu’est-ce que la «protéine ALD » et que fait-elle ?
Les cellules contiennent des petites structures vésiculaires appelées organites. Le compartimentage biologique permet à l’organisme de regrouper dans un même lieu les enzymes qui ont besoin de travailler ensemble. L’oxydation des acides gras a lieu dans deux organites différents – les mitochondries et les peroxysomes. Les enzymes nécessaires à l’oxydation des acides gras dans les mitochondries sont différentes de celles utilisées dans les peroxysomes. Les recherches menées à l’Institut Kennedy Krieger dans les années 1980 par les Drs. Inderjit Singh et Hugo Moser ont montré que l’oxydation des AGTLC a lieu uniquement dans les peroxysomes (Singh et al, 1981).
En 1993 à Paris, les Drs. Patrick Aubourg et Jean-Louis Mandel ont découvert que le gène ALD génère une protéine (ALDP) qui se situe à l’intérieur des cellules dans la membrane des peroxysomes (Mosser et al, 1993). La protéine ALD appartient à une famille spécifique de protéines de transport. Ces protéines permettent à des molécules de traverser les membranes biologiques comme celles entourant les organites cellulaires.
L’ALD est caractérisée par l’incapacité des cellules à métaboliser/dégrader les AGTLC en acides gras à chaîne plus courte. Il en résulte des taux d’AGTLC élevés dans tous les tissus du corps. La dégradation des AGTLC a lieu exclusivement dans les peroxysomes. Les enzymes qui sont nécessaires à la dégradation des AGTLC sont fonctionnelles et présentes à l’intérieur des peroxysomes chez les patients ALD. Sur la base des études qui démontrent qu’une expression normale de la protéine ALD dans les cellules de patients atteint d’ALD restaure la bêta-oxydation des AGTLC (Shinnoh et al 1995) et réduit les taux d’AGTLC à des niveaux normaux (Cartier et al, 1995), il a longtemps été émis l’hypothèse que l’ALDP transportait les AGTLC à travers la membrane des peroxysomes. Des expériences utilisant des cellules de levure et des cellules provenant de patients ALD ont fourni les preuves que l’ALDP transporte effectivement les AGTLC (comme AGTLC -CoA) à travers la membrane des peroxysomes (van Roermund et al, 2008 ; Ofman et al, 2010).
Le déficit de l’ALDP dans l’ALD a deux conséquences majeures : 1) il empêche la bêta-oxydation des AGTLC dans les peroxysomes et 2) il induit une augmentation des taux d’AGTLC-CoA dans le cytosol de la cellule. Ces niveaux élevés d’AGTLC-CoA dans le cytosol sont sujets à un allongement supplémentaire par ELOVL1, l’élongase humaine spécifique des acides gras en C26 (Ofman et al, 2010; Kemp et Wanders, 2010).
ALDP
La protéine ALD (ALDP) n’est pas détectable par immunofluorescence chez environ 70 % des personnes touchées. Pour des raisons qui ne sont pas bien comprises, le produit du gène peut être absent même chez les personnes qui ont des mutations faux-sens. L’anomalie biochimique principale est l’accumulation d’acides gras saturés à très longue chaîne, en particulier l’acide hexacosanoïque (C26:0) et l’acide tétracosanoïque (C24:0), dont la cause est l’impossibilité de les dégrader, cette fonction se déroulant normalement dans le peroxysome. La protéine ALDP transporte les AGTLC du cytosol vers le peroxysome.
Figure: Détection de l’ALDP par immunofluorescence. (À gauche) fibroblastes contrôles montrant une coloration en points reflétant la présence normale d’ALDP dans les peroxysomes. (Centre) fibroblastes provenant d’un patient ayant une ALD avec une mutation affectant la stabilité de l’ALDP. Notez qu’il n’y a pas de coloration en points mais une coloration diffuse. (À droite) fibroblastes provenant d’une patiente ayant une ALD de la même famille que le patient masculin au centre. Le gène ABCD1 est situé sur le chromosome X. Les femelles ont deux chromosomes X. Cependant, dans chaque cellule, seulement 1 chromosome X est actif. Les cellules qui présentent une coloration en points sont celles qui ont une copie active du gène ABCD1 normal, tandis que celles qui ne présentent pas de coloration en points sont les cellules qui ont un gène actif ABCD1 porteur de la mutation.
Les images ont été faites par le Dr. Merel Ebberink
Last modified | 2019-05-08